Ma pratique se nourrit d’un environnement visuel urbain dans lequel les corps sont sollicités de toute part. Architecture urbaine et numérique, design, publicité, mode, signalisation, graphisme : l’œil est constamment sollicité tant dans sa dimension pulsionnelle que dans le décryptage des signes. Écrans, affiches, panneaux, magazines, enseignes sont autant de support sur lesquels l’image abonde dans tous les sens. Ici, comme à l’atelier, chaque résidu visuel devient une matière que j’extrais et dont je reconfigure l’usage. Je découpe ces codes, signifiants d’affects populaire, icônes de masse, techniques graphiques clandestines, dans un continuum de signification établi, pour les réinscrire sur une surface et dans l’histoire de la peinture moderne.

Mon travail est un travail de peinture qui mêle des éléments hétéroclites. Je combine des techniques, supports, textures, couleurs, dessins, mots et lettres afin de rendre compte de traces et de signes sur une surface plane qui interroge le processus pictural.

Les tableaux sont réalisés dans un flux de peinture, sans programme, qui se constitue d’un jeu de décisions et d’accidents. Chaque tableau est le résultat d’une série d’interventions, limitées et espacé dans le temps où chaque nouveau geste est une réaction au résultat du précédent.

Comme le dit Walter Swennen, ma pratique se développent « de rustines en rustines ».

Mes tableaux se font et se défont dans une perpétuelle négociation avec la réalité obtenue.

Ce que vous voyez comme résultat du tableau achevé n’était pas là auparavant comme programme.

Il y a des compromis et des dissimulations qui donne parfois lieu à une lutte. Elle se caractérise par des tentatives d’effacements et de recouvrements qui donnent à voir des espaces conflictuels.

Le format des tableaux (195 x 140 cm) correspond à l’envergure maximale de mon corps. Ils sont constamment manipulés, déplacés, pivotés et subissent autant de déplacement dans l’espace qu’ils reçoivent de traces à leurs surfaces. Cet aspect de ma pratique relève d’une dimension performative, qui, même si elle n’est jamais donnée à voir en tant que telle aux spectateurs n’en demeure pas moins perceptible dans la forme sédimentée du tableau. Pour autant, cette dimension joue un grand rôle lorsque je spatialise les tableaux. Ce format maximal peut être additionné de plusieurs panneaux afin de travailler sur des surfaces plus grandes. Mon corps s’impliquera alors beaucoup plus pour déployer un geste continue sur la totalité de la surface.

Bien que la répétition des formats puisse évoquer la question d’un travail en série, les tableaux n’en sont pas. J’aime parler plutôt de « suite », mieux encore de « phrases ». C’est-à-dire un ensemble de choses qui se suivent selon une logique interne que je perçois comme une syntaxe ou un « phrasé de surface ». Ainsi, il ne s’agit jamais d’un programme de production, ni d’une variation autour d’un thème.

Les mots, peint à l’aide de typographies préexistantes et reconnaissable, sont traités avant tout comme des lettres et des signes. Leur sens de lecture conventionnel est toujours brisé, parfois par le retournement d’un panneau (dont les lettres se retrouvent à l’envers), par des caviardages ou par des agencements qui complique la lecture. Je recherche le même degré de signifiance entre les traces, les images et les mots prenant le risque d'avoir des problèmes de syntaxe. Ceci vient produire du trouble, la lettre bascule alors vers le pictogramme et inversement.

Le sens des phrases, ainsi que leur statut dans le tableau peuvent être comprise de plusieurs manières, elles ne se posent jamais à la place du commentaire ni de l’interprétation. Elles sont plutôt proches du mouvement initial du tableau, de ce qui a mis en branle les signes et les traces en eux, souvent de manière humoristique, pensés comme des anti-programme ou des injonctions contradictoire.

Ce flux de peinture crée un stock de tableaux d’un même format que je standardise. Il me permet, lors d’accrochage, d’avoir la possibilité d’effectuer des montages entre plusieurs tableaux. Renforçant ainsi le caractère manipulable des images et, paradoxalement, en rendant sa qualité d’objet au tableau. En faisant cela, je viens renforcer ce qui s’effectue déjà à l’intérieur des tableaux et je donne pleinement à voir les pratiques picturales qui président à l’élaboration de mes peintures : à savoir essentiellement du collage ; du découpage, du pochoir, décalages, montage et glissement entre les gestes et le langage qui sont très proches des techniques visuelles de l’édition.

2021




    My practice is nourished by an urban visual environment in which bodies are solicited from all sides. Urban and digital architecture, design, advertising, fashion, signage, graphics: the eye is constantly solicited both in its impulsive dimension and in the deciphering of signs. Screens, posters, billboards, magazines and signs are all media on which images abound in all directions. Here, as in the studio, each visual residue becomes a material that I extract and reconfigure for use. I cut out these codes - signifiers of popular affect, mass icons, clandestine graphic techniques - from an established continuum of meaning, to reinscribe them on a surface and in the history of modern painting.My work is a painting that mixes heterogeneous elements. I combine techniques, supports, textures, colors, drawings, words and letters to render traces and signs on a flat surface that question the pictorial process.
The paintings are produced in a flow of paint, without a program, which is made up of a play of decisions and accidents. Each painting is the result of a series of interventions, limited and spaced out in time, where each new gesture is a reaction to the result of the previous one.As Walter Swennen puts it, my practice develops "from patch to patch".My paintings are made and unmade in a perpetual negotiation with the resulting reality.

What you see as the result of the finished painting was not there before as a program.

Compromise and concealment sometimes give rise to struggle. It's characterized by attempts at erasure and covering that reveal conflicting spaces.The format of the paintings (195 x 140 cm) corresponds to the maximum span of my body. They are constantly manipulated, shifted and rotated, and undergo as much displacement in space as they receive marks on their surfaces. This aspect of my practice has a performative dimension, which, even if never visible to the viewer as such, is nonetheless perceptible in the sedimented form of the painting. However, this dimension plays a major role when I spatialize the paintings. This maximum format can be supplemented by several panels to work on larger surfaces. My body will then be much more involved in deploying a continuous gesture over the entire surface.
Although the repetition of formats may evoke the idea of working in series, the paintings are not serial. I prefer to speak of "sequences", or even better, "phrases". In other words, a set of things that follow one another according to an internal logic that I perceive as a syntax or "surface phrasing". So it's never a production program, nor a variation on a theme.
Words, painted using pre-existing and recognizable typography, are treated above all as letters and signs. Their conventional reading direction is always broken, sometimes by turning a panel upside down (so that the letters are upside down), by redactions or by arrangements that complicate reading. I look for the same degree of significance between traces, images and words, risking problems of syntax. This leads to confusion, as the letter becomes a pictogram and vice versa.The meaning of the sentences, and their status in the painting, can be understood in several ways, but they never take the place of commentary or interpretation. Rather, they are close to the initial movement of the painting, to what has set in motion the signs and traces within them, often in a humorous way, thought of as anti-programs or contradictory injunctions.

This paint flow creates a stock of paintings of the same format that I standardize. When I hang my work, I am able to assemble several paintings together. This reinforces the manipulable nature of the images and, paradoxically, restores the painting's object quality. By doing this, I reinforce what is already happening inside the paintings, and I give full expression to the pictorial practices that preside over the elaboration of my paintings: essentially collage; cutting, stenciling, shifting, editing and sliding between gestures and language that are very close to the visual techniques of publishing.


2021

    
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© Swann Ronne